Charte mondiale des femmes pour l'humanité
Adoptée le 10 décembre 2004 à Kigali (Rwanda, lors de la 5è rencontre internationale de la Marche mondiale des femmes, la Charte décrit le monde que, nous femmes de la Marche, voulons construire, un monde basé sur l'égalité, la liberté, la solidarité, la justice, la paix.
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Préambule
Nous, les femmes, marchons depuis longtemps pour dénoncer et exiger la fin de l’oppression que nous vivons en tant que femmes, pour dire que la domination, l’exploitation, l’égoïsme et la recherche effrénée du profit menant aux injustices, aux guerres, aux conquêtes et aux violences ont une fin. De nos luttes féministes, de celles qu’ont menées nos aïeules sur tous les continents, sont nés de nouveaux espaces de liberté, pour nous-mêmes, pour nos filles, pour nos fils et pour toutes les petites filles et tous les petits garçons, qui, après nous, fouleront ce sol. Nous bâtissons un monde où la diversité est un atout et où tant l’individualité que la collectivité sont sources de richesse, où les échanges fleurissent sans contraintes, où les paroles, les chants et les rêves bourgeonnent. Ce monde considère la personne humaine comme une des richesses les plus précieuses. Il y règne l’égalité, la liberté, la solidarité, la justice et la paix. Ce monde, nous avons la force de le créer.
Nous formons plus de la moitié de l’humanité. Nous donnons la vie, travaillons, aimons, créons, militons, nous distrayons. Nous assurons actuellement la majorité des tâches essentielles à la vie et à la continuité de cette humanité. Pourtant, notre place dans la société reste sous-évaluée.
La Marche mondiale des femmes, dont nous faisons partie, identifie le patriarcat comme le système d’oppression des femmes et le capitalisme comme le système d’exploitation d’une immense majorité de femmes et d’hommes par une minorité.
Ces systèmes se renforcent mutuellement. Ils s’enracinent et se conjuguent avec le racisme, le sexisme, la misogynie, la xénophobie, l’homophobie, le colonialisme, l’impérialisme, l’esclavagisme, le travail forcé. Ils font le lit des fondamentalismes et intégrismes qui empêchent les femmes et les hommes d’être libres. Ils génèrent la pauvreté, l’exclusion, violent les droits des êtres humains, particulièrement ceux des femmes, et mettent l’humanité et la planète en péril.
Nous rejetons ce monde !
Nous proposons de construire un autre monde où l’exploitation, l’oppression, l’intolérance et les exclusions n’existent plus, où l’intégrité, la diversité, les droits et libertés de toutes et de tous sont respectés.
Cette Charte se fonde sur les valeurs d’égalité, de liberté, de solidarité, de justice et de paix.
ÉGALITÉ
Affirmation 1. Tous les êtres humains et tous les peuples sont égaux dans tous les domaines et dans toutes les sociétés. Ils ont un accès égal aux richesses, à la terre, à un emploi digne, aux moyens de production, à un logement salubre, à une éducation de qualité, à la formation professionnelle, à la justice, à une alimentation saine, nutritive et suffisante, aux services de santé physique et mentale, à la sécurité pendant la vieillesse, à un environnement sain, à la propriété, aux fonctions représentatives, politiques et décisionnelles, à l’énergie, à l’eau potable, à l’air pur, aux moyens de transport, aux techniques, à l’information, aux moyens de communication, aux loisirs, à la culture, au repos, à la technologie, aux retombées scientifiques.
Affirmation 2. Aucune condition humaine ou condition de vie ne peut justifier la discrimination.
Affirmation 3. Aucune coutume, tradition, religion, idéologie, aucun système économique, ni politique ne justifie l’infériorisation de quiconque et n’autorise des actes qui remettent en cause la dignité et l’intégrité physique et psychologique.
Affirmation 4. Les femmes sont des citoyennes à part entière avant d’être des conjointes, des compagnes, des épouses, des mères, des travailleuses.
Affirmation 5. L’ensemble des tâches non rémunérées, dites féminines, qui assurent la vie et la continuité de la société (travaux domestiques, éducation, soin aux enfants et aux proches) sont des activités économiques qui créent de la richesse et qui doivent être valorisées et partagées.
Affirmation 6. Les échanges commerciaux entre les pays sont équitables et ne portent pas préjudice au développement des peuples.
Affirmation 7. Chaque personne a accès à un travail justement rémunéré, effectué dans des conditions sécuritaires et salubres, permettant de vivre dignement.
LIBERTÉ
Affirmation 1. Tous les êtres humains vivent libres de toute violence. Aucun être humain n’appartient à un autre. Aucune personne ne peut être tenue en esclavage, forcée au mariage, subir le travail forcé, être objet de trafic, d’exploitation sexuelle.
Affirmation 2. Chaque personne jouit de libertés collectives et individuelles qui garantissent sa dignité notamment : liberté de pensée, de conscience, de croyance, de religion; d’expression, d’opinion; de vivre librement sa sexualité de façon responsable et de choisir la personne avec qui partager sa vie ; de voter, d’être élue, de participer à la vie politique; de s’associer, se réunir, se syndiquer, manifester; d’élire son lieu de vie, sa nationalité, de choisir son statut civil; de suivre les études de son choix, de choisir sa profession et de l’exercer; de se déplacer; de disposer de sa personne et de ses biens; d’utiliser la langue de communication de son choix dans le respect des langues minoritaires et des choix collectifs concernant la langue d’usage et de travail; de s’informer, de se cultiver, d’échanger, d’accéder aux technologies de l’information.
Affirmation 3. Les libertés s’exercent dans la tolérance, le respect de l’opinion de chacune et de chacun et des cadres démocratiques et participatifs. Elles entraînent des responsabilités et des devoirs envers la communauté.
Affirmation 4. Les femmes prennent librement les décisions qui concernent leur corps, leur sexualité et leur fécondité. Elles choisissent d’avoir ou non des enfants.
Affirmation 5. La démocratie s’exerce s’il y a liberté et égalité.
SOLIDARITÉ
Affirmation 1. La solidarité internationale est promue entre les personnes et les peuples sans aucun type de manipulation ni influence.
Affirmation 2. Tous les êtres humains sont interdépendants. Ils partagent le devoir et la volonté de vivre ensemble, de construire une société généreuse, juste et égalitaire, basée sur les droits humains, exempte d’oppression, d’exclusions, de discriminations, d’intolérance et de violences.
Affirmation 3. Les ressources naturelles, les biens et les services nécessaires à la vie de toutes et de tous sont des biens et des services publics de qualité auxquels chaque personne a accès de manière égalitaire et équitable.
Affirmation 4. Les ressources naturelles sont administrées par les peuples vivant dans les territoires où elles sont situées, dans le respect de l’environnement et avec le souci de leur préservation et de leur durabilité.
Affirmation 5. L’économie d’une société est au service de celles et de ceux qui la composent. Elle est tournée vers la production et l’échange de richesses utiles socialement, qui sont réparties entre toutes et tous, qui assurent en priorité la satisfaction des besoins de la collectivité, qui éliminent la pauvreté et qui assurent un équilibre entre l’intérêt général et les intérêts individuels. Elle assure la souveraineté alimentaire. Elle s’oppose à la recherche exclusive du profit sans satisfaction sociale et à l’accumulation privée des moyens de production, des richesses, du capital, des terres, des prises de décision entre les mains de quelques groupes ou de quelques personnes.
Affirmation 6. La contribution de chacune et de chacun à la société est reconnue et entraîne l’ouverture de droits sociaux, quelle que soit la fonction qu’ils y occupent.
Affirmation 7. Les manipulations génétiques sont contrôlées. Il n’y a pas de brevet sur le vivant ni sur le génome humain. Le clonage humain est interdit.
JUSTICE Affirmation 1. Tous les êtres humains, indépendamment de leur pays d’origine, de leur nationalité et de leur lieu de résidence, sont considérés comme des citoyennes et des citoyens à part entière jouissant de droits humains (droits sociaux, économiques, politiques, civils, culturels, sexuels, reproductifs, environnementaux) d’une manière égalitaire et équitable réellement démocratique.
Affirmation 2. La justice sociale est basée sur une redistribution équitable des richesses qui élimine la pauvreté, limite la richesse, et assure la satisfaction des besoins essentiels à la vie et qui vise l’amélioration du bien-être de toutes et de tous.
Affirmation 3. L’intégrité physique et morale de toutes et de tous est garantie. La torture, les traitements humiliants et dégradants sont interdits. Les agressions sexuelles, les viols, les mutilations génitales féminines, les violences spécifiques à l’égard des femmes et le trafic sexuel et la traite des êtres humains sont considérés comme des crimes contre la personne et contre l’humanité.
Affirmation 4. Un système judiciaire accessible, égalitaire, efficace et indépendant est instauré. Affirmation 5. Chaque personne jouit d’une protection sociale qui lui garantit l’accès à l’alimentation, aux soins, au logement salubre, à l’éducation, à l’information, à la sécurité durant la vieillesse. Elle a accès à des revenus suffisants pour vivre dignement.
Affirmation 6. Les services de santé et sociaux sont publics, accessibles, de qualité, gratuits et ce, pour tous les traitements, toutes les pandémies, particulièrement pour le VIH.
PAIX
Affirmation 1. Tous les êtres humains vivent dans un monde de paix. La paix résulte notamment : de l’égalité entre les sexes, de l’égalité sociale, économique, politique, juridique et culturelle, du respect des droits, de l’éradication de la pauvreté qui assurent à toutes et tous une vie digne, exempte de violence, où chacune et chacun disposent d’un travail et de ressources suffisantes pour se nourrir, se loger, se vêtir, s’instruire, être protégé pendant sa vieillesse, avoir accès aux soins
Affirmation 2. La tolérance, le dialogue, le respect de la diversité sont des garants de la paix.
Affirmation 3. Toutes les formes de domination, d’exploitation et d’exclusion de la part d’une personne sur une autre, d’un groupe sur un autre, d’une minorité sur une majorité, d’une majorité sur une minorité, d’une nation sur une autre sont exclues.
Affirmation 4. Tous les êtres humains ont le droit de vivre dans un monde sans guerre et sans conflit armé, sans occupation étrangère ni base militaire. Nul n’a le droit de vie ou de mort sur les personnes et sur les peuples.
Affirmation 5. Aucune coutume, aucune tradition, aucune idéologie, aucune religion, aucun système économique ni politique ne justifient les violences.
Affirmation 6. Les conflits armés ou non entre les pays, les communautés ou les peuples sont résolus par la négociation qui permet d’arriver à des solutions pacifiques, justes et équitables et ce, au niveau national, régional et international.
APPEL
Cette Charte mondiale des femmes pour l’humanité appelle les femmes et les hommes et tous les peuples et groupes opprimés du monde à proclamer individuellement et collectivement leur pouvoir à transformer le monde et à modifier radicalement les rapports qui les unissent pour développer des relations basées sur l’égalité, la paix, la liberté, la solidarité, la justice.
Elle appelle tous les mouvements sociaux et toutes les forces de la société à agir pour que les valeurs défendues dans cette Charte soient effectivement mises en œuvre et pour que les pouvoirs politiques prennent les mesures nécessaires à leur application.
Elle invite à l’action pour changer le monde. Il y a urgence !!!
Aucun élément de cette Charte ne peut être interprété ni utilisé pour énoncer des opinions ou pour mener des activités contraires à l’esprit de cette Charte. Les valeurs qui y sont défendues forment un tout. Elles sont égales en importance, interdépendantes, indivisibles; la place qu’elles occupent dans la Charte est interchangeable.
Qu’est-ce que la Marche mondiale des femmes ?
La Marche mondiale des femmes est un mouvement composé de groupes de femmes de diverses origines ethniques, culturelles, religieuses, politiques, de classe, d’âge, d’orientation sexuelle. Au lieu de nous séparer, cette diversité nous unit dans une solidarité plus globale.
En 2000, nous avons, en tant que Marche mondiale des femmes, écrit une plate-forme politique contenant 17 revendications concrètes afin d’éliminer la pauvreté dans le monde, réaliser le partage des richesses, éradiquer la violence à l’égard des femmes et obtenir le respect de leur intégrité physique et morale. Nous avons transmis ces revendications aux responsables du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, de l’ONU. Nous n’avons reçu aucune réponse concrète. Nous avons aussi transmis ces revendications aux élus et élues et aux dirigeants et dirigeantes de nos pays.
Depuis lors, nous continuons à défendre nos revendications sans relâche. Nous proposons des alternatives pour construire un autre monde. Nous sommes actives au sein des mouvements sociaux du monde et de nos sociétés. Nous approfondissons la réflexion sur la place qu’occupent et que doivent occuper les femmes dans le monde.
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dimanche, octobre 22, 2006
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